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Itinéraire d’un mort de la rue

Plus de 500 morts par an, sans-abris ou personnes isolées, sont recensés en France par le collectif « Les Morts de la rue ». On a retracé pour vous l’itinéraire d’un SDF retrouvé mort à Paris, sans trace d’identité.

 

| Enquête | par Benjamin LEIBA | 21 décembre 2016

Paris - Boulevard Barbès – Angela et Patrick*, deux volontaires du collectif des « Morts de la rue », cherchent quelques arbres pour coller des affiches dans le quartier. Ils diffusent un appel à témoin pour retrouver l’identité et la famille d’un anonyme. Un homme sans domicile fixe a été retrouvé mort près d’ici, devant le 5 rue Simart : sans papiers d’identité et donc sans famille pour l’enterrer.

 

Comme lui, ils sont environ 500 à décéder chaque année dans ces conditions. 92% sont des hommes et ils meurent en moyenne à 49 ans, soit environ 30 ans plus tôt que la moyenne nationale. Cécile Rocca, coordinatrice du collectif, explique :

 

« Nous cherchons à leur rendre leur dignité lors des obsèques et à accompagner les proches dans le deuil. »

 

Contrairement aux idées reçues, ces morts anonymes ont malgré tout un tissu social, des proches à prévenir et à soutenir. Pour eux, les volontaires retournent sur les lieux du décès pour une enquête de voisinage afin de retrouver la trace du disparu. Ils interrogent les « voisins de rue », les commerçants, les passants et tentent de glaner des informations sur sa vie et son identité.

 

L’enquête

 

Les morts anonymes sont parfois retrouvés dans la rue, dans le métro ou encore en foyer. C’est souvent un passant, un voisin de rue ou une association qui retrouve le corps inanimé. Dès que le décès est signalé à la police, et si le cas semble suspect, ils procèdent à une autopsie à l’Institut Médico Légal de Paris. 1 fois sur 2, ils décèdent de causes violentes (accident, agression), selon les rapports annuels du collectif. En l’absence de nom connu, les légistes lui donneront le nom du saint du jour. Un numéro suffit quand le SDF meurt à l’hôpital.

 

Si un cas suspect est avéré, le parquet est saisi, et il ordonne l’ouverture d’une enquête. Le légiste, procède à la relève des empreintes, de l’ADN ainsi que du schéma dentaire de la dépouille. Le cas est alors confié à la section enquête du commissariat local. La BIJ (Brigade d’Identification Judiciaire) se charge d’identifier le corps et envoie une photo post-mortem au CHAPSA (Centre d’Hébergement et d’Assistance aux Personnes Sans-Abri) afin d’identifier le cadavre. La police réalise en même temps une enquête de voisinage autour du lieu du décès. « On interroge les sans-abris aux points de réunions connus des sans-abris du quartier » témoigne par téléphone une policière déjà chargée d’une enquête similaire.

 

Le service d’Identité Judiciaire est sollicité pour croiser les données du sans-abri décédé avec les fichiers génétiques nationaux (ADN, empreintes) dans le cas où aucun élément n’a été découvert. Si les différents services mobilisés sont encore bredouilles, le dossier est transmis au service de police judiciaire de répression de la délinquance contre les personnes. Les enquêtes durent généralement entre 1 et 6 mois, selon une source policière. La durée varie d’un cas à l’autre, en fonction de la nationalité, des causes du décès ou bien encore du lieu de naissance. Par exemple, si le mort était polonais, un agent de liaison sera contacté en Pologne dans le but de collecter des informations.

 

L’importance du schéma dentaire

 

La police se sert aussi du schéma dentaire pour interroger les dentistes situés aux alentours du lieu du décès, avec l’espoir que la personne ait consulté dans le coin récemment. Quelques fois par an, la police transmet le schéma dentaire à l’Ordre national des chirurgiens dentistes, avec l’âge supposé et quelques éléments physiques caractéristiques. L’Ordre le diffuse alors aux dentistes via des revues spécialisées avec l’espoir qu’un dentiste le reconnaisse. Serge Fournier, président de l’Ordre des chirurgiens dentiste, revient sur l’efficacité du système :

 

« Il faut un coup de chance pour que ça marche, vous imaginez le nombre de patients que voit un dentiste, s’il devait se souvenir de tous les schémas de ses patients par cœur, c’est presque impossible… ».

 

D’autant plus que les dentistes ne se donnerait pas forcément la peine de remplir les schémas à chaque fois. Pour y remédier Serge Fournier travaille pour mettre en place en 2017 le fichier national des schémas dentaires, afin de faciliter les démarches par des recherches nationales et informatiques. Chaque patient qui consultera, verra ainsi son schéma actualisé et mis à disposition de la base de données. Serge Fournier nous rappelle qu’un tiers des victimes des derniers attentats du Bataclan et de Nice ont été identifiés grâce aux schémas dentaires.

 

Funeral for a friend

 

Côté statistiques, c’est l’omerta sur les morts anonymes : la Préfecture de Police n’a aucun chiffre et la Mairie de Paris n’a pas répondu à nos demandes d’interviews. Daniel Terrolle, anthropologue et Maître de Conférences au sein de l’Université Paris VIII, précise que nombre de morts de SDF anonymes est en fait comptabilisé parmi celles des « personnes inactives » (retraités, femmes au foyer, etc…). Sur le terrain, les passants ont souvent un rôle clé pour le collectif. Angela et Patrick ne se découragent pas. Quand ils repassent quelques jours plus tard, un prénom et un âge ont été ajoutés sur l’affiche placardée. Ils reprennent espoir et continuent alors leur porte-à-porte. Il s’agira désormais de retrouver sa famille. Parfois, ils ont même la bonne surprise de découvrir leur pancarte transformée en mémorial de fleurs et de témoignages, preuves de l’affection des riverains.

 

 

Cécile Rocca rappelle qu’après les recherches de la police et des associations qui aident à l’identification, « seuls une dizaine de cas par an restent encore anonymes » et sont donc enterrés sous X. Dans le cas où la famille n’est pas retrouvée, les volontaires accompagnent la dépouille de la morgue jusqu’au cimetière et participent activement aux cérémonies funéraires. La loi impose que la mairie du lieu de décès prenne en charge les obsèques des « indigents », c’est-à-dire les personnes sans ressource ou sans famille. En pratique, il existe des dérives, comme l’a révélé Médiapart en 2014 où un cadavre aurait attendu près de trois mois avant son inhumation à Sarcelles.

 

Pour les personnes prises en charge par la mairie, ce sera le service minimum, avec mise en bière, transfert et inhumation en terrain commun dans le cimetière de Thiais. Pas de nom, pas de pierre tombale, pas de rite religieux. Jusqu’en 1991 à Paris, les services du cimetière creusaient une grande tranchée dans laquelle les cercueils étaient posés les uns à côté des autres. Aujourd’hui, les sans-abris anonymes sont enterrés dans des tombes individuelles recouvertes d'une dalle en béton avec les autres « indigents » dans les « Jardins de la fraternité ».

 

Pour les plus isolés d’entre eux, Angela et Patrick accompagnent même le corps dans le véhicule funéraire, achètent quelques fleurs et contactent les proches qu’ils ont pu identifier. Devant le terrain commun, ils prononcent alors quelques mots avant la mise en terre afin de rendre un dernier hommage à cette personne morte sans famille connue, avec les éléments qu’ils auront pu récupérer sur sa vie.

 

*Les noms ont été modifiés.

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